Entretien d'un sentimental avec son mur
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« Je suis un sentimental. C’est une sorte de faiblesse, je sais, une sorte de maladie, je sais. Vous en riez; vous pouvez bien en rire, ça m’est complètement égal. Je ne suis pas un mou, je ne suis pas un lâche, je ne crois pas, je suis seulement un sentimental : je n’aime pas les murs. C’est un défaut, je sais, mais je n’ai pas le choix. Je n’aime pas les murs. Je ne dis pas les vieux murs, pierre de taille et fissures, je ne dis pas les murs irréguliers, leurs interstices inégaux, mousses et mortiers, tous les jeux de la lumière à leurs surfaces, non, je dis les murs que certains croient bon de dresser entre eux et moi, entre eux et vous, entre eux et eux, et ces murs-là sont de béton, lisses et inaltérables, ils ne se laissent entamer par rien, c’est du moins ce qu’ils prétendent, il leur faut ça pour se protéger, c’est du moins ce qu’ils croient; moi je les soupçonne d’être plus fragiles et plus faibles que moi, je suis un sentimental pourtant, tenez, je me demande si derrière leur mur, à chaque fois, ce ne serait pas par hasard un sentimental qui se cache et se réfugie. Un sentimental qui s’ignore. Ou un sentimental qui se méfie de lui-même plus encore que de vous ou de moi. »
Né à Pully, près de Lausanne, en 1950, l’écrivain et poète François Debluë a longtemps enseigné la littérature dans le canton de Vaud. Collaborateur de nombreuses revues littéraires en Suisse et à l’étranger, il est l’auteur du livret de la Fête des Vignerons de 1999. L’ensemble de son œuvre a été salué par le Prix Schiller en 2004 et par le Prix Édouard-Rod en 2013.
NB : Les prix indiqués sont sujets à changements sans préavis.