Silhouettes
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Deuxième livre de Geoffrey Squires, publié en 1978, Silhouettes est un ouvrage à part dans son oeuvre, peut-être le plus intime. Poète des paysages et de la perception des espaces, Squires capte ici une succession de silhouettes humaines et animales, plongées dans des ambiances de nuits d’été ou de jours de chaleur. L’ouverture du livre est d’une éclatante clarté, à contre-courant d’un texte qui se développe en évocations mouvantes. Deux hommes tressent une corde. Les mots sont simples, évidents. Les gestes, habitués, efficaces : utiles. Une fois la corde achevée, ils en recommencent une autre. En quelques lignes, Squires dépeint sans avoir l’air d’y toucher quelque chose de l’ordre de la clarté de notre destinée, nos mouvements sont les mêmes, répétitifs, pour faire une corde ou former le monde, sans jamais pouvoir nous arrêter.
Ce premier poème est suivi, dans un retour du trouble, par une succession de silhouettes étranges qui traversent les pages, impressions fugaces – une lampe dans un couloir, une femme immobile dans un jardin, l’annonce d’un fait-divers lointain, un couple sur l’eau, des trophées de gibier aux murs. Le lecteur ne sait jamais s’il est vraiment là, ou s’il perçoit des apparitions, en passant. Impossible de s’assurer de la solidité des choses vues, si l’on est dans le réel ou dans une dérive des sensations rêveuses, à demi-conscientes. Visages, murmures, formes et bruits dans la nuit, tout se mêle et se décompose dans la mémoire. Squires a toujours joué des changements de ton, de l’intrusion d’éléments contradictoires dans ses recueils.
Dans Silhouettes, ce phénomène se produit à l’échelle même des poèmes. D’un vers à l’autre, des enchainements se produisent sans rapport logique, la focale change, les êtres changent. Des écarts viennent en permanence perturber la continuité des tableaux. Actions lentes, mouvements interrompus, Squires, qui a toujours écrit sur les vibrations de l’air, des feuillages, ajoute ici les vibrations de nos gestes à l’intérieur des espaces. Avec toujours cette conscience de notre perception incertaine dans un monde changeant : « rien ne reste pareil très longtemps ».
Geoffrey Squires est né en 1942 en Irlande. Après un diplôme d’anglais à Cambridge, il obtient un doctorat de psychologie éducative à Edimbourg. Il a travaillé durant plusieurs années dans diverses universités en Iran, en France et aux Etats-Unis. Il a enseigné à l’université de Hull et a été longtemps consultant pour l’OCDE. Il publie en 1975 Pierres noyées, recueil éclaté et cosmopolite, remarqué pour son innovation formelle héritée de la poésie américaine de l’époque – notamment Charles Olson et les poètes de Black Mountain – en réaction à la poésie irlandaise lyrique de l’après-guerre. Viennent ensuite Silhouettes en 1978 et XXI Poems en 1980, poésies de la perception et de la conscience immédiate qui trouvent un premier aboutissement dans Poème en trois sections en 1983. Poète du corps en mouvement dans l’espace, de l’évocation des lieux, des paysages et des associations mémorielles, Squires conduit sa poésie vers l’abstraction dans les années qui suivent, avec Paysages et Silences en 1996 ou la série Sans titre au tournant des années 2000. Il est également traducteur de poésie persane, française et gaélique.
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