Un livre de nonsense [édition bilingue]
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Lorsque Patrick Reumaux nous a fait, sans trop y croire, la proposition de publier les poèmes-comptines (limericks) d’Edward Lear en nous confiant son édition du XIXe, l’idée de redonner vie, pour la première fois en français, à ce somptueux album pour enfant, publié conjointement à Londres et à New York, avec ses dessins rehaussés en couleurs, a aussitôt suscité notre enthousiasme. Il faut dire que nous venions de redécouvrir le genre grâce au Journal du poète Georges Séféris, lui-même tellement amateur de limericks qu’il en était venu à collectionner les vues de Grèce d’Edward Lear, qui était aussi un paysagiste et écrivain voyageur talentueux. Et que cette découverte ne faisait que raviver un goût ancien éprouvé dès l’adolescence, à un moment où nous lisions avec enchantement les poèmes d’un autre admirateur d’Edward Lear, Français celui-ci : Jean Tardieu (qui reproduit un dessin de l’album dans son Obscurité du jour).
Le plaisir que procurent ces poèmes-comptines, tous construits sur le même modèle, – avec une image qui, comme l’écrit Patrick Reumaux, « fait boiter et rougir le texte en avouant tout ce qu’il tait » – est si délectable qu’il incite à en inventer d’autres, et si évident qu’il n’a guère besoin d’être commenté. Le traducteur en décrit néanmoins très bien l’effet disruptif : « Lear a dans sa trousse à dessins toute une série de pinces-monseigneur, les limericks, plus redoutables que les pinces d’un crabe pour forcer le coffre du sens. L’effet de surprise, l’apparente absurdité qui en résulte, provoque un irrésistible éclat de rire, mais il est trop tard : le fric-frac a eu lieu, le coffre est forcé, le corset victorien délacé, le cambrioleur, hilare d’avoir réussi son coup, se promène l’air de rien dans la chambre à coucher. » Mais il sait y voir aussi un simple retour à l’esprit (parfois cruel) de l’enfance, n’oubliant pas que c’est pour les enfants du comte de Derby que Lear les a écrits. Dans le poème que lui consacre W. H. Auden, un autre de nos auteurs, Lear est devenu un pays où des essaims d’enfants rêvent de s’établir. Un Nonsenseland qui est, en Angleterre au moins, aussi connu aujourd’hui encore que le Wonderland de son contemporain Lewis Carroll.
Edward Lear (1812-1888) naît à Londres dans une famille aisée, et nombreuse. Les ennuis d’argent de son père l’obligent néanmoins très jeune à gagner sa vie. Il devient l’assistant d’un naturaliste et apprend à dessiner des oiseaux, ce qui lui vaudra bientôt l’estime du président de la société zoologique de Londres, lord Derby, dont il devient le protégé. Son ouvrage Illustrations de la famille des Psittacidae, consacré aux perroquets, est un chef-d’œuvre. C’est pour les enfants de lord Derby qu’il se met à écrire les poèmes du Book of nonsense dont une première édition paraît sous pseudonyme en 1846. Leur succès le libère de ses soucis matériels. Il vivra désormais comme paysagiste et écrivain voyageur, parcourant sans cesse les pays méditerranéens (ou même l’Inde), et publiant des relations de ses voyages sous le titre générique Journaux illustrés d’un peintre de paysage. Il finit ses jours en 1888 à San Remo où il s’était fait construire une maison et où il s’était attelé à la tâche d’illustrer les poèmes de son ami Tennyson.
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