Artiste en petites choses (L')
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Massacre I (doubler le coup de feu)
Le meilleur signe est de voir le renard tomber d'un bloc, en silence, au coup de fusil. Cependant il faut toujours se méfier d'une telle manifestation et être prêt à doubler un tel animal. Quand il pique le nez en terre et dresse la queue au coup de feu, on peut espérer l'avoir touché mortellement. (A. Chaigneau, 1967)
Massacre II (comptabilité, gérer les rythmes, compter le temps.)
Combray : 180 pages pour environ dix ans. Un amour de Swann : 200 pages pour quelque deux ans. Gilberte, 160 pages pour environ deux ans (ici, ellipse de deux ans). Balbec 1 : 300 pages pour 3 ou 4 mois. Guermantes : 750 pages pour 2 ans et demi. (Genette, 1972).
Massacre III (Ossuaire. Philosophie de l'ameublement.)
Les objets sont les os du temps (…) écrire un roman, par conséquent, ce sera non seulement composer un ensemble d'actions humaines, mais aussi composer un ensemble d'objets tous liés nécessairement à des personnages, par proximité ou par éloignement. (Butor, 1995). De ces trois versions du même jeu de massacre, l'écriture, celle du pédagogue (Genette), celle du géomètre (Butor) et celle du tireur (le garde-chasse Chaigneau), je n'entends que la dernière, celle où les plombs cinglent au-dessus de mes oreilles, où je pique la tête et relève, d'un coup de panache, la queue, feignant de tomber mort sur le coup.
Il se produit (ou pas) entre un texte et son lecteur, un événement d'une intensité extraordinaire. Je ne lis plus le texte, je le bois, et m'y abreuvant, j'ai lieu. Moi aussi je suis Heathcliff. Lisant Proust, je me fiche du temps que dure le dîner chez la duchesse de Guermantes, de l'intervalle de temps qui sépare les séquences, de la répartition des convives et de celle des objets. Lisant Proust, je mesure le temps à mon asthme. Je tousse donc je suis. Je crache un sang moussu. Moi aussi, mes poumons sont atteints. Le renard tiré vivant est non seulement le renard qui va mourir, mais le renard de la fable. Je ne lis pas le texte du garde-chasse, j'épaule et, quand je presse la gâchette, je me retranche à l'autre extrémité du doute, là où le renard syncope, va syncopant, va feintant, va fabulant.
« J'avais un goupil de rêve, queue touffue, touffue, oreilles tachées de noir, ils l'ont tué. S'ils avaient pu, ils nous auraient tous tué, mais nous étions partis dans les montagnes, là où ils ne pouvaient pas nous tuer. Nous attendions la neige, comprenez-vous, on ne peut pas tuer dans la neige des monts. Ils avaient beau faire des comptes, entamer des procédures, faire durer le plaisir, clamer leurs bonnes raisons sur tous les toits en brandissant des preuves plus fausses les unes que les autres, ils ne pouvaient pas nous tuer.
Brandir des preuves aux assises? Le roman est un drôle de rêve, tellement faux qu'il a vraiment l'air vrai. On ne prépare pas plus la venue d'un roman qu'on ne prépare celle d'un rêve. On voit. Ou pas. Un homme de haute stature se lave les mains… Antonia Pozzi le savait : C'est l'hiver – mon âme – l'hiver. »
Né en 1945 à Vouziers dans l'Argonne ardennaise, Noël Tuot, qui sait comme personne que l'herbe est verte, a publié – entre autres poèmes –Paraboles, imprimerie Matit Braine, Reims, 1974, La femme du Bédouin, Phébus 1994, Lettre ouverte à Rimbaud, Anabet, 2009. Conscient que les poètes avaient, pour la plupart, pris la détestable habitude de se ressembler, d'être interchangeables, atteint d'une maladie devenue rare aujourd'hui, la rage – on ne la trouve plus guère que chez les renards, il s'est attelé à la tâche : bâtir une œuvre spécialement programmée pour démasquer l'imposture, agencement auquel il a donné un nom mémorable : la machine à éjaculer les Rimbauds. Sa seule erreur : ne pas avoir passé de pacte avec le Malin. De dépit, le diable l’a foudroyé, le privant de parole et de mouvement. Mais la machine à éjaculer fonctionne toujours, faisant naître sous sa main, d'étranges bonshommes, de bizarres figures, têtes, croix, lignes, courbes, taches, silhouettes, qui toutes, à leur manière, avec une saisissante horreur, témoignent de cette petite chose grande : la beauté.
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