Doléances du fossoyeur (Les)
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« Plus le peuple est bête, innocent et crédule, plus on devrait le prendre en sympathie et en pitié; pourtant, ces gens-là, ils pensent que ta bêtise et ta bonté, ça leur donne le droit de te frapper jusqu’à l’os, de te condamner à la misère, à la maladie et au déshonneur, de pas mieux se comporter avec toi que ces charretiers sans cœur qui tuent leurs bêtes à force de les charger et de les battre, pour la raison qu’elles seraient bien en peine de mordre ou de rendre les coups. Si c’est un cœur que tu as dans la poitrine, et pas une pierre, ne dis pas que c’est la faute du peuple, mais crie avec moi : Maudits soient les imposteurs! »
Ces « gens-là », ce sont les politiciens opportunistes et véreux, prêts à toutes les manigances pour arriver à leurs fins, qui ont transformé la vie d’un brave homme en enfer : celle de l’ancien pêcheur Argyre Zomas, qui vivait autrefois paisiblement avec sa famille à Syros, et dont les malheurs ont commencé le jour où il fit la rencontre d’un député venu faire campagne sur l’île.
Dans cette nouvelle écrite en 1895, l’écrivain et journaliste grec Emmanuel Roïdis nous donne à entendre la complainte bouleversante de cet homme du peuple, devenu fossoyeur dans un cimetière d’Athènes après avoir succombé aux sirènes de la politique.
À mi-chemin entre la fable et la satire, ce texte d’une rare clairvoyance n’a absolument rien perdu de son actualité. Servi par une traduction des plus remarquables, il décrit avec mordant les dérives de l’électoralisme, qui ne sont pas sans rappeler – sous bien des aspects – les excès de nos propres démocraties modernes.
Emmanuel Roïdis (1836-1904) est un écrivain et journaliste grec. Il a vécu à Gênes, où son père était consul de Grèce. Après avoir séjourné en Europe (en France et à Berlin) et voyagé en Orient, il revient se fixer à Athènes. Longtemps directeur de la Bibliothèque nationale de Grèce, il devra abandonner ce poste à cause de ses pamphlets politiques. Il est le traducteur, en grec, de Chateaubriand et l’auteur notamment de La Papesse Jeanne (1866). Dans cet ouvrage traduit en plusieurs langues (en français par Alfred Jarry), et dont l’accueil fut tumultueux, Roïdis avait visé la corruption de l’Église. À la fin de sa vie, l’auteur ayant perdu sa fortune, devenu sourd et abandonné par ses amis, meurt dans la plus grande solitude.
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