Un peu de fièvre
Un peu de fièvre

Penna, Sandro  
Manganaro, Jean-Paul (Traduit par) 
Pasolini, Pier Paolo (Postface de) 
  • Éditeur : Ypsilon
  • Collection : Hors-collection
  • EAN : 9782356541130
  • Code Dimedia : 000228299
  • Format : Broché
  • Thème(s) : LITTÉRATURE - FICTION & ESSAI
  • Sujet(s) : Littérature étrangère, Littérature italienne/roumaine
  • Pages : 160
  • Prix : 37,95 $
  • Paru le 24 octobre 2022
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EAN: 9782356541130

Un peu de fièvre (Un po' di febbre publié chez Garzanti à Milan en 1973) rassemble « les quelques feuilles éparses » écrites entre 1939 et 1941 et parues dans des magazines et des journaux ainsi que des textes inédits et des brefs récits spécialement choisis par l’auteur, qui voulait ainsi donner vie à son seul livre en prose. Un exploit pour le grand poète Sandro Penna, toujours subtilement indécis et savamment maladroit dans la composition de ses recueils. Ce sont des pages marquées par cette grâce et cette clarté propres à la voix de Penna, où l’on retrouve les lieux et les impressions caractéristiques de son œuvre, dans une exploration curieuse des détails et des nuances d’une réalité qui restait seulement évoquée dans les vers par des apparitions plus rapides et fugaces. Penna propose là une variation magnifique sur ses motifs les plus connus (l’amour, la mort, la peur, les jeunes gens, les villes italiennes comme Rome, Venise, sa Pérouse natale…), recréant un monde à la fois ordinaire et magique, transparent et mystérieux. La nouvelle traduction de Jean-Paul Manganaro restitue merveilleusement la grâce du poète italien et donne à lire ou relire cette œuvre intemporelle de la littérature mondiale.

Extrait

« Bon joueur jusqu’au bout ». C’est ainsi que s’achève le beau « policier » que j’ai lu avec tant d’intérêt. Je quitte le dur siège qu’a été le coin du piédestal d’une colonne de Saint-Pierre. La soirée est merveilleusement chaude. J’avance sans itinéraire et je me répète à moi-même, car je l’aime beaucoup, « Bon joueur jusqu’au bout ». Il a été bien habile cet auteur, et intelligent. De combien de poètes sérieux de ma connaissance je me ferais haïr si je leur disais que cet auteur de « policiers » est bien au-dessus d’eux.
 
Mais que Rome est belle. Je l’aime beaucoup – et elle me plairait même si elle était laide ou autre chose. Mais savoir que tous disent qu’elle est belle enhardit mon enthousiasme. Je ne veux plus emprunter cette rue connue, mais puisque je suis si heureux et si fort ce soir, je prendrai cette ruelle sinistre qui mène ensuite devant l’hôpital. Ruelle étroite, entre de vieilles maisons hautes aux fenêtres sans persiennes. Chaleur et sensation des crimes de la Rome papale? Le fait est qu’avance vers moi un jeune homme, et juste avant qu’il ne me heurte il descend de sa bicyclette et s’arrête contre le mur. Il fouille dans ses poches et ouvre enfin sa petite porte. J’ai à peine le temps de voir le sombre petit escalier raide et un léger chat blanc qui est l’ami du jeune homme.
 
Me voilà face à l’hôpital. Le trafic est ici interrompu par un gros disque lumineux d’un rouge décoloré, qui ne ressemble pas, oh non, aux feux avec leur aspect compliqué de technicisme, mais étrangement maladroit, villageois, irréel, et qui me donne – mais je suis vraiment fou – le même sentiment d’angoisse que cette lune leopardienne qui après être tombée dans le pré laisse dans le ciel « comme une lueur, ou une empreinte, une niche, même ». De l’intérieur de l’hôpital suintent de faibles lueurs bleutées, pas une plainte, pas un soupir. Qui va mourir, mourra donc en silence? Et puis, une voix chante, pas débordante de joie, non, mais tranquille et ordinaire. Et à l’extérieur, assis, parlent calmement entre eux trois ou quatre garçons de salle en blouse blanche.
 
Je remonte le petit escalier tortueux qui, avant de me conduire au grand air du fleuve, me fait voir un spectacle vraiment angoissant. La petite église de l’hôpital avec sa porte grand ouverte à la fraîcheur de l’air nocturne, me montre au milieu de faibles lueurs des malades ou des cercueils, comment savoir? Mais non. Les faibles lueurs, c’est parce qu’on dort. Et tout le monde est tranquille.
 
À présent je me souviens. Moi aussi j’ai été une fois là-dedans et tout ce qui m’en reste est une phrase en réponse au frère venu demander quelque chose : « Non, pour le moment, rien de grave. Peut-être plus tard… »
 
Mais non, pas seulement ça. Si je rentre là-dedans, par la mémoire, je revois encore le regard d’un garçon. Je m’habillais pour « m’en aller ». Mais je laissais les autres, plus ou moins malades. Dans ma hâte embarrassée, en m’habillant au milieu d’hommes, je n’eus peut-être pas la pudeur d’une jeune fille. Je sais seulement que « le garçon » releva, du bas vers mes yeux, un regard qui me parut tout à la fois troublé d’envie et d’espoir. Certes, l’adolescent devait avoir en lui, sinon la guérison, du moins le vif espoir de la retrouver.




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