Tony Roman
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Écrite d’une main de maître, cette biographie d’un musicien mythique vous fera voyager et rêver
« Au début, ça se passe bien. Normal. Tony est parti du début. La famiglia, le primaire, le secondaire... Mais plus on boit, plus il décolle dans le name-dropping tous azimuts. Tout va très vite. La moitié des noms me sont étrangers. Quand il constate ma stupeur, il saisit un stylo, puis me dessine l’organigramme de sa vie sur notre nappe en papier tachée de sauce rouge. S’amorce un long explicatif graphique sur sa vie, vaste réseau personnel et professionnel tissé sur un demi-siècle entre Montréal, New York, Paris et Los Angeles, avec lui-même au milieu, bien sûr.
Tranquillement, l’image prend forme. Le Del Rio Combo, Ray Nelson, Pierre Nolès qui le présente aux Baronets, Donald Lautrec et Yvan Dufresne, Dominique Michel la cougar enfiévrée, Vigoda, Weintraub, Shadow Morton à New York, Nanette, Guy Cloutier qui nous ramène à Angélil, les Sinners, Charlebois, Ahmet Ertegun d’Atlantic, Eddie Barclay de Barclay. La France, les States. Un verre de grappa, puis deux. La nappe de la table se remplit de flèches et de noms, certains soulignés plusieurs fois. Tate et Finaldi, le deal raté de Capitol, le Japon, George Thurston, la grappa revole, le punk arrive, et puis Los Angeles, Pierre David et René Malo, le cinéma, le bon chum Chris Squire de Yes, Guy A. Lepage. Sacrament... »
Diplômé en ethnologie, Jean-Christophe Laurence travaille à La Presse depuis la fin du XXe siècle. Il est le coauteur du Guide du Montréal multiple, paru en 2012, et de Ta photo dans ma chambre : trésors retrouvés de la chanson, coécrit avec Monique Giroux en 2016. Il est également cofondateur de l’étiquette de disques Mucho Gusto, spécialisée dans la réédition de pop québécoise obscure et décalée, dont le catalogue inclut notamment deux albums de l’Infonie et le chef-d’œuvre Laissez-nous vous embrasser où vous avez mal, du tandem Péloquin/Sauvageau.
« Trois cognacs plus tard, le magnéto roule en accéléré. Le téléphone sonne sans arrêt. Tony décroche, parle en anglais, couvre l’acoustique de sa main et m’envoie un clin d’œil: « C’est Hollywood… ». Puis il dit à son interlocuteur qu’il est en meeting. Je me retourne. Personne dans la pièce, hormis Claudia, qui s’affaire à la photocopieuse.
J’en conclus que le meeting, c’est moi. Le mot est fort. Ce n’est pas un meeting. Ni une entrevue. C’est une conversation à bâtons rompus, parsemée de sacres, de souvenirs hallucinés, de name-dropping, d’interjections à l’italienne. Je demeure sceptique, hanté par les rumeurs et les « c’est-ça-qu’on-dit-de-Tony ». Il parle à Hollywood depuis un sous-sol. Est-ce un menteur, un diable ou un winner? J’en suis à me poser ces questions quand une femme aux allures de mannequin apparaît dans la pièce. Je la prendrais pour une autre de ces créatures mythologiques appartenant à la constellation Tony si elle ne tenait pas dans ses mains deux plats de spaghettis.
Tony me présente Anne, sa blonde. Anne me sert l’une des deux assiettes.
- C’est la recette de ma mère. Goûte à ça, le kid.
Pour moi, l’histoire commence ici. Sous la surface. Au-delà du yéyé, des premiers tubes et des images mythiques.
Dans une assiette de spaghettis… »
Jean-Christophe Laurence
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