Trois Guinées
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Trois Guinées (1938), l’un des deux écrits féministes de Virginia Woolf, est le dernier livre qu’elle publiera de son vivant. Elle en a eu dès 1931 l’idée « en prenant son bain », « comme une suite à Une chambre à soi ». Mais lorsqu’elle se met en 1937 à la rédaction définitive, qui lui a demandé beaucoup de lectures et de documentation, l’époque est sombre, Mussolini et Hitler sont au pouvoir, l’Angleterre voit affluer des réfugiés d’Allemagne, d’Espagne, d’Autriche, puis de Tchécoslovaquie, bientôt dix mille enfants juifs de moins de 17 ans arriveront pour être adoptés par des familles britanniques. Et cela ne manque pas d’influer sur ce qu’est devenu le cadre narratif du livre. Une femme reçoit une lettre d’un homme qui lui demande : comment pouvons-nous empêcher la guerre? La lettre reste trois ans sans réponse. Entre-temps une autre lettre est arrivée, d’une femme cette fois, trésorière d’une association, qui demande de l’argent pour reconstruire un college d’université. Et puis il y a une troisième lettre, celle de la trésorière d’une autre association demandant de l’aide pour que les filles des hommes éduqués accèdent à une profession et puissent ainsi gagner leur vie. Dans ses réponses, Woolf déploie avec brio une argumentation sans cesse fondée sur des faits qui explique ses réticences : chaque demandeur recevra une guinée mais la narratrice refusera d’adhérer à la société de l’homme qui veut empêcher la guerre. Trois Guinées est à la fois un essai documenté et un pamphlet à la violence ironique radicale.
Woolf a elle-même déclaré qu’il y a dans ce livre — dont l’écriture n’est jamais didactique mais toujours littéraire, pleine de détails concrets, de notations vivantes et colorées, de détours apparents — « assez de dynamite pour faire sauter la cathédrale Saint Paul ». L’argument au cœur de sa réflexion est effectivement explosif : ces hommes prétendument éduqués à grands frais par la société anglaise, qui dénoncent la dictature à l’étranger, la reproduisent en réalité au sein de leur foyer vis-à-vis de leurs femmes qui s’épuisent à combattre, secrètement et sans armes, des tyrans domestiques qui se sont arrogé tous les pouvoirs. Tout ce sur quoi la société anglaise patriarcale est fondée se révèle un échec et ne mène qu’à la guerre. Il ne servirait à rien de donner aux femmes une éducation et une profession si cela conduisait à les faire reproduire les comportements masculins.
Aujourd’hui, au moment où la parole des femmes se libère, au moment où la guerre est revenue sur le continent européen, la parole libre et ailée de Virginia Woolf est plus précieuse que jamais.
Cette édition abondamment annotée inclut aussi, outre les photos choisies par Viriginia Woolf pour illustrer son propos et qui figurent pour la première fois dans une édition française, quelques reproductions de pages des albums que l’auteur a constitués pour sa documentation. La couverture est de Vanessa Bell et les illustrations sont tirées de l'édition originale à la Hogarth Press.
NB : Les prix indiqués sont sujets à changements sans préavis.