De la bêtise [ancienne édition]
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Dans la vie de tous les jours, on a coutume de considérer comme bête une personne "un peu faible de la tête". Mais les variantes qui affectent l'âme comme l’esprit sont fort nombreuses, et peuvent entraver, contrarier ou fourvoyer jusqu'aux intelligences les plus saines que la nature ait faites, de sorte qu'on en revient finalement à des cas pour lesquels la langue ne dispose encore que d'un seul nom : la bêtise. Ce mot recouvre donc deux réalités au fond très différentes : la bêtise probe des simples, et l'autre, quelque peu paradoxale, qui est même un signe d'intelligence. Dans la première, la faiblesse de l'entendement est absolue, tandis que dans la seconde elle n'est que relative. C'est de loin cette deuxième forme qui est la plus dangereuse.
Célèbre surtout pour son œuvre romanesque, Robert Musil (1880-1942) est aussi l'auteur de nombreux essais, conférences et aphorismes, qui le montrent attentif aux mutations de la conscience moderne. De la bêtise, qu'il considérait comme l'un de ses textes majeurs, aborde un sujet tabou dans la pensée classique : confrontée à son contraire, la réflexion ne court-elle pas le risque de vaciller sur ses bases ? "Si la bêtise ne ressemblait pas à s’y méprendre au progrès, au talent, à l'espoir ou au perfectionnement, personne ne voudrait être bête."
Traduit de l'allemand par Matthieu Dumont et Arthur Lochmann.
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