Cabale
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J’ai pensé que, s’il me reconnaissait, je croiserais les bras de façon ostensible. Pour signifier mon refus. Et s’il voulait me toucher, j’étendrais mon bras pour bloquer son élan. Je serais imperturbable. Je ne voulais pas être trop dur, ce n’est pas moi. Mais je voulais qu’il sache que j’étais maintenant fort, plus fort que lui. Et, bien sûr, il m’a vu. Bien sûr, il s’est dirigé vers moi, tout sourire. C’est alors que j’ai pensé que je pourrais lui flanquer une gifle, comme un geste d’honneur ou une proposition de duel, mais c’était un vieil homme, et une claque solide l’aurait rendu invalide. Il était vieux. Très vieux. À deux pieds de moi, il a ouvert les bras. Sans réfléchir, j’ai été bon. J’ai ouvert les miens.
À la suite du magnifique Le Feu de mon père, Michael Delisle revient à son exploration romanesque de la figure paternelle. Ici, elle est considérée à travers la rivalité entre deux frères. Cette histoire vieille comme le monde, celle d’Abel et Caïn, Michael Delisle la rend avec une sensibilité et une force inouïes.
Après trente ans d’esquives et de combines, de séjours en prison ou en Floride, Wilfrid réapparaît inopinément dans la vie de ses deux fils. Hâlé, fragilisé, tout seul. Aux yeux de Paul, le cadet, c’est un escroc et un bonimenteur sans scrupules. S’il est de retour dans leurs vies, c’est qu’il est intéressé. Aux yeux de Louis, l’aîné, c’est qu’il vient terminer auprès d’eux sa tâche de père qu’il avait négligée jadis. À défaut de récolter l’amour de ses garçons, Wilfrid réussira-t-il à semer la discorde entre eux?
Parallèlement à cette trame familiale, le romancier trace un portrait extrêmement vivant et sensible de la vie dans un cégep. À travers une galerie de personnages attachants, mentors, fils spirituels, frères d’adoption ou frères biologiques, il réussit à incarner cette délicate question de l’héritage, accepté ou refusé. Que ce soit Khoury, le professeur au seuil de la retraite qui cherche à transmettre sa passion pour la voix de Kathleen Ferrier, Étienne Hamelin, l’étudiant en mal d’autorité, ou Morin, le frère désiré, fantasmé, mais qui se refuse, chacun cherche à se relier aux hommes qui les ont précédés ou à se détacher de ceux qui leur succéderont.
Avec un art magistral, Michael Delisle donne ici un roman prenant, percutant, qui explore de manière obsédante paternité et fratrie, transmission et rejet, solitude et partage.
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