Filiations
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Depuis plus de quarante ans, Michel Tremblay édifie une œuvre imposante dans laquelle il relate, notamment, la destinée d’une famille de la rue Fabre sur trois générations. Les Chroniques du Plateau Mont-Royal (1978-1997), de même que plusieurs pièces de son théâtre, se laissent lire en cela comme un vaste roman familial, une histoire de filiation où chacun s’avère déterminé, à des degrés divers, par son héritage. Or, au cœur de ce roman familial est enfoui le secret plus ou moins bien gardé d’une relation incestueuse.
L’étude de Jacques Cardinal s’attarde à expliciter l’incidence de cet inceste, en particulier sur les destins de Marcel — l’enfant en proie au délire, à la folie —, et de Jean-Marc, son cousin, l’écrivain en devenir. L’analyse permet ici de montrer les puissances et les limites de l’imagination et du rêve, le vertige qui s’empare du sujet lorsque l’interdit de l’inceste est transgressé, violence première entravant l’arrimage du sujet à la loi. Ainsi déchiffre-t-on chez Tremblay non pas tant un éloge de la rêverie, du simulacre ou du masque, qu’une quête de la parole authentique ; non pas seulement une célébration du maternel, mais une mise en scène profanatrice de la mère et de son pouvoir, lequel trouve sa source dans l’oblitération de la fonction paternelle. De là se trouve convoqué un certain discours religieux — en particulier catholique — en tant qu’il soutient la quête véhémente d’une parole ponctuellement juste et vraie, cherchant ainsi à s’affranchir d’une parole impuissante, d’une parole qui s’égare dans le monde du semblant, des apparences, de l’imitation, du mensonge, du secret, du refoulement. L’œuvre de Michel Tremblay apparaît bien à cet égard comme un art du mentir-vrai, une méditation sur la fiction dont l’artifice ne s’oppose pas à la recherche d’une vérité enfin dévoilée.
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