Haine (La)
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Ces textes, respectivement signés Daniel Corkery, Sean O’Faolain et Frank O’Connor, ont deux particularités. La première : tordre le cou au mythe de la Verte Erin recouverte de trèfles, peuplée de farfadets, aux crépuscules celtiques, pour imposer la vision d’un pays malheureux, maculé de haine et de sang : une Irlande noire. La seconde : avoir pour auteurs trois écrivains issus de la ville de Cork, ville de « débiles » d’où rien de bon ne peut sortir si l’on écoute cette mauvaise langue de Flann O’Brien, qui traite tous ses natifs – surtout ceux qui prennent la plume – de « mouches à miel », « d’escrocs », de « gandins avec des diplômes et tout le saint Frusquin », quand il ne les traite pas de « gros culs de Cork. » Jugement naturellement injuste si l’on en croit la définition de la nouvelle irlandaise, donnée par O’Faolain : « Une nouvelle, quand elle est bonne, est semblable à un cerfvolant d’enfant – une petite merveille, un instant de lumière. » Ici la lumière est voilée car il s’agit du pays où l’on ressasse les Pâques sanglantes de Dublin (1916) et où la guerre civile (avec le haïssable anglais) bat son plein.
Qui a jeté ce voile sur le vert ? À Cork, c’est d’abord Daniel Corkery. Né en 1878, dans une famille où l’on est menuisier de père en fils, il commence par vivoter en enseignant chez les Frères Chrétiens – et si l’on veut en savoir plus sur ces Christian Brothers, on méditera sur les remarques du Frangin, dans La Chienlit, qui paraît auxBelles Lettres en même temps que La Haine – en peignant des aquarelles et en écrivant des pièces de théâtre. À l’âge de cinquante ans, il soutient une thèse sur Synge et devient professeur d’Université. Corkery est irlandais jusqu’au bout des ongles, c’est-à-dire, capricieux, emporté, partisan, coléreux, violent, têtu, étroit d’idées, large de coeur, tout comme Sean O’Faolain, né en 1900, et Frank O’Connor, né en 1903, qui furent tous deux ses élèves, sillonnèrent à vélo le comté de Cork pour porter la bonne parole de la Révolution, et furent tous deux victimes de la censure pour avoir osé parler ouvertement de sexe. Beaucoup pensent que Mid Summer Night Madness, le premier recueil de nouvelles de Sean O Faolain, est aussi le meilleur. L’image de Frank O’Connor reste elle vivement ancrée dans la mémoire. En effet, si l’on écoute B. Kiely faire le tableau de la littérature irlandaise de la première moitié du vingtième siècle « Frank O’Connor est aussi à l’aise avec un homme traversant un champ à fond de train sous une grêle de balles qu’ avec une toute jeune fille qui pousse des hurlements de terreur sur une route suburbaine et rajuste, en courant, une jarretelle à son bas filé ».
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