Talon d'Achille
Talon d'Achille
Waysbord, Hélène  
  • Éditeur : Belles Lettres (Les)
  • Collection : Hors collection
  • EAN : 9782251451169
  • Code Dimedia : 000210726
  • Format : Broché
  • Thème(s) : LITTÉRATURE - FICTION & ESSAI, SCIENCES HUMAINES & SOCIALES
  • Sujet(s) : Biographie / Récit biogra., Guerre, Littérature française, Shoah
  • Pages : 144
  • Prix : 27,95 $
  • Paru le 4 juillet 2022
  • Plus d'informations...
EAN: 9782251451169

Privée de ses parents partis en voyage à perpétuité, Hélène Waysbord est cachée à la campagne par une famille au nom aussi mythologique que celui de la narratrice, les Médée. C’est alors que « le mythe parle à une enfant de la Shoah » et lui permet de poursuivre une enfant rompue.
 
Dans un constant aller-retour entre le présent, son passé et la nuit des temps de la mythologie, Hélène Waysbord raconte comment la figure d’Achille a donné un sens à sa vie personnelle, mais également à sa vie de femme engagée et à notre histoire contemporaine. Son récit, doté d’une voix rauque et profonde qui prend immédiatement le lecteur au ventre et le ramène à l’essentiel, propose une approche nouvelle de la Shoah et de sa transmission : non par la résilience, mais en abordant la terreur avec un sens du merveilleux et du monstrueux conservé. L'enfant à la sortie de maternelle, en automne 1942, l’enfant qui cherchait ses parents, s'est retrouvée en un instant privée de son monde. Dans la campagne où elle a été transportée et sauvée, l'imaginaire combine les éléments fantastiques d'une vie autre.
 
Le monde mythique de l'enfant et la parole de la narratrice relisant l'épopée d'Homère se croisent de manière féconde. La voix du récit est un composé qui constitue une identité profonde, l’identité secrète et véridique où les temps coexistent, la Shoah, Homère, l’Europe et l'enseignement des Lettres classiques. Naît ainsi une sorte de petite mythologie portative pour soutenir l'existence. Aujourd’hui au crépuscule d’une existence bien remplie dont elle rapporte ici des fragments fulgurants, Hélène Waysbord partage une conviction dont elle est la preuve vivante : toute vie est un bricolage mythologique.

AUTEUR(S)

Hélène Waysbord, spécialiste de la question de la mémoire et de la transmission et présidente honoraire de l’association de la Maison des enfants d’Izieu a enseigné les Lettres Classiques. C’est elle que François Mitterrand a choisie afin de le conseiller pour le projet de la Villette, du Grand Louvre ainsi que de la Bibliothèque de France. Aux côtés de Serge Klarsfeld, Claude Lanzmann, Simone Veil, elle participe en 2008 à la mission visant l’enseignement de la Shoah à l’école. A ce titre elle fait de nombreuses interventions pour former les enseignants partout en Europe. Depuis janvier 2019, elle est Grand Officier de la Légion d’Honneur. Elle est enfin l’auteur de deux livres chez Christian Bourgois, L’Amour sans visage (2013) et Alex ou le porte drapeau (2014) ainsi que d’un film sur Michel Butor.

Extrait

« Le village avait ses personnages fantastiques, cheminots aux visages noircis, descendus de la gare toute proche, vagabonds en haillons qui quêtaient une bolée de cidre aux heures désertées du café. Ses fous aussi, plutôt sa folle, la Marie Quat'boutons selon la désignation, qui était l'objet de la risée des enfants au loin, de leur peur aussi quand elle menaçait de sa béquille tournoyant dans l'air. Ils s'enfuyaient, criant son surnom.
 
Quel chantier, une enfant à recomposer à partir de fragments explosés sur le parvis de l'école à Argenteuil, automne quarante-deux. Catapultée dans une campagne insolite; ni odeur de colle de la boutique du cordonnier, ni rire du père, ni couleur du thé doré. La vie à réinventer dans l'odeur du tabac et les jurons endiablés de la salle du café.
 
Ulysse dans le long temps de la guerre et du retour empêché, c'était qui, c'était quoi  Après avoir vécu un enchaînement sans fin de maléfices, les îles de l'Oubli chez les Lotophages, l’île du Soleil où les marins affamés dépeçant les vaches sacrées se retrouvaient avec des quartiers de viande hurlant dans leurs mains; la sorcière Circé désarmée par le fil de l'épée, mais lui, le héros, solitaire au milieu d'un troupeau de pourceaux hébétés qui furent ses compagnons?
 
Je ne connaissais pas encore ces histoires, qu'importe elles avaient leur équivalent dans le rythme de la vie villageoise. Avant l'été à la ferme, les hurlements du cochon égorgé dont le sang noir coulait à flots dans la bassine à boudin pour le festin. Le grand moment de la régalade, on oubliait la guerre, privations et brimades. Ah! Les pourceaux d'Hélène pour fabriquer rillons et pâtés à la suave odeur de graisse dans la cuisine en temps de disette. Bénédiction que le cochon!
 
À l'automne, en fin de semaine, parties de pêche organisées les soirs sous la nuit blême. Les enfants étaient associés aux expéditions menées par la bande des habitués du café. Les écrevisses! C'était notre homard à nous, délice espéré à cuisiner bientôt en commun dans de grands faitouts.
 
Je me souviens comme s'étendait autour de nous le vaste décor d'ombre à peine éclaircie par le rond blanc de la lune, tandis que cœur battant nous traversions les longues prairies nocturnes suivant la rivière. Les hommes portaient des balances préparées, lestées de viande avariée pour attirer les crustacés, friands de chair. Les bœufs ne tardaient pas à rappliquer, appelés au plus près par l'odeur. La peur de cette étrange corrida nocturne! Comme si de paisibles ruminants normands se métamorphosaient sous la lune. Ils chargeaient d'autant plus que les porteurs de balance voulaient les écarter à grands tournoiements de viande sous leurs naseaux. Beuglaient-ils sous la lune blanche, je n'entends pas. La scène est silencieuse, figée. Les bœufs pour l'enfant s'étaient transformés en taureaux prêts à cannibaliser leurs congénères réduits en morceaux, ou peut-être désireux de leur rendre un dernier rituel sacrificiel. »




NB : Les prix indiqués sont sujets à changements sans préavis.