Nihilisme et capitalisme
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Notre époque prend conscience du fait que la crise économique mondiale comme la dévastation généralisée du milieu naturel sont des aspects particuliers d’une crise plus large qui concerne les manières de vivre, et donc le sens et la valeur que nous conférons à la vie et à l’existence en général. La crise de « nos » sociétés est une crise de la culture ou de la « civilisation », c’est-à-dire d’un certain mode de vie articulé par une représentation globale du monde et s’incarnant dans des modèles spécifiques de subjectivité et de subjectivation.
Le capitalisme — privé ou d’État— est un régime de clôture du possible qui assigne à l’humain et à tout ce qui existe la signification absolue de ressource disponible en vue de l’accumulation de l’avoir et du pouvoir. Par là même, le capitalisme est en soi un régime de dévastation de l’humain et de la nature non humaine, régime qui est incompatible avec la culture dont le sens premier, rappelons-le, est le prendre soin de la terre — puis le prendre soin de l’humain. Aujourd’hui comme au XIXe siècle, la critique du régime « moderne » de dévastation de la vie humaine et de la vie en général passe par une critique culturelle du capitalisme, qui assumerait le fait que le capitalisme n’est pas simplement un mode de production mais aussi et surtout un régime d’enfermement de l’humain dans l’enclos d’une rationalité purement instrumentale et calculatrice orientée vers la finalité absolue de l’avoir accumulatif et du pouvoir sur les autres et sur les choses. Un régime produisant une subjectivité « unidimensionnelle », capable de finalités utilitaires mais incapable de (re)créer socialement et incessamment une symbolique du sens existentiel. Subjectivité sans esprit, à l’image de ce « dernier homme » décrit par Nietzsche, pour lequel l’habitude de regarder vers le bas lui fait perdre jusqu’à la signification du mot « étoile ».
La critique de la clôture capitaliste du symbolique ne signifie nullement qu’il faille revenir aux récits du sens et de la valeur qui avaient cours à l’époque de Nietzsche —comme le prétendent certains intégrismes religieux et politiques du présent. En tant que modalité de l’exigence critique de la pensée, la critique culturelle du capitalisme nous invite à repenser historiquement les conditions du sens existentiel et de la valeur, par-delà toute dogmatique et en deçà des dichotomies établies entre le « réel » et l’ « utopie », la « raison » et l’« imaginaire », le « visible » et l’invisible ». Elle entend ainsi contribuer à libérer un espace de pensée et de passion en vue de la (re)création des « énergies utopiques » de l’humain ou, pour le dire peut-être plus simplement, de l’esprit humain. Ce livre entend proposer, de manière succincte, une série de repères historiques et thématiques de la critique culturelle du capitalisme.
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