Revue Lignes, no 48
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Des événements se sont succédé dont les conséquences nous obligent à penser la situation qu’ils ont déterminée :
1. les attentats de Paris, après ceux de Toulouse et Bruxelles ; avant celui de Copenhague ;
2. la réponse sécuritaire du gouvernement français (au nom des « libertés » ; au prix de celles-ci) ;
3. sa réponse idéologique : l’union nationale, à laquelle il semble tout ce qui lui reste de politique ;
4. l’ascension de l’extrême droite française (des extrêmes droites européennes avec elle), attirant à elle (presque) toutes les droites et une large majorité de l’électorat (populaire, y compris de gauche) ;
5. le surenchérissement d’un séquençage identitaire jouant en tous sens, opposant entre eux des groupes se constituant en communautés. Etc.
Situation d’autant plus préoccupante qu’elle prend appui sur ce que la France et l’Europe connaissent interminablement de la crise, et de la défaillance ou de l’indifférence des gauches à y répondre. La question de départ doit être décisive en cela : oui ou non la situation est-elle nouvelle ? Ou la même, mais aggravée ? Change-t-elle de nature ou seulement de degré ? Quels sens, pertinence, etc. ont les évocations du passé (les années 1930) ? Comment ne pas s’étonner surtout (un parti pris s’impose) de ce qu’ont pu dire beaucoup de ceux pour qui, à gauche de la gauche, la situation ne serait pas nouvelle, mais la même, et pour qui les attentats témoigneraient d’un malaise (au sens emphatisé de Freud) que la seule interprétation sociologique suffirait encore à expliquer ; malaise qu’expliqueraient – séquelles du colonialisme raciste français – les effets de la relégation et de la ségrégation des classes pauvres et immigrées. Tous points justes, mais qui ont déjà été servis et dont l’efficacité n’a pas été avérée.
Surtout, à les lire, les entendre, une césure a semblé se dégager : ce serait selon que le capitalisme est premier ou second dans l’analyse que s’établiraient les pensées et se distribueraient les déclarations.
Soit l’anticapitalisme est premier, et il n’y aurait de moyen de penser cette situation que comme l’un des symptômes dont seul son renversement aurait raison; soit cette situation témoigne d’autre chose qui ne menace pas davantage le capitalisme que l’anticapitalisme qui conspire à le renverser (l’analogie avec les années 1930 serait alors plausible).
Les rapports de puissance sont en effet en train de changer au point que penser selon les termes des puissances respectives du capitalisme et de son opposition ne suffit plus. Une autre puissance émerge qui ravage des territoires entiers, y répandant la terreur (terreur qui n’atteint encore l’Europe qu’épisodiquement), qui n’est sans aucun doute pas moins hostile à l’anticapitalisme qu’au capitalisme luimême. De là que l’étau se resserre : plus de gauche ou presque, où que ce soit ; un plébiscite au contraire pour un libéralisme sans fard ni frein ; une extrême droite à l’affût et aux portes du pouvoir ; et, enfin, le déferlement d’un archaïsme historique qu’on ne voit pas à quoi comparer sinon à une variante du fascisme – l’opposition dominante serait dès lors celle-ci : d’un néo-fascisme djihadiste et d’un ancien fascisme européen.
Que penser de cette situation nouvelle ? C’est la question que ce numéro de Lignes veut poser.
Avec : Jean-Loup Amselle, Francis Cohen, Philippe Corcuff, Martin Crowley, Jean-Paul Curnier, Georges Didi-Huberman,= Christian Ferrié, Robert Harvey & Hélène Vollat, Jérôme Lèbre, Boyan Manchev, Frédéric Neyrat, Plinio Prado, Jacob Rogozinski, Michel Surya.
NB : Les prix indiqués sont sujets à changements sans préavis.