Tumultes, no 45
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La considération de l’Etat est indissociable de celle de la corruption, qui connaît deux formes distinctes mais corrélées : la dégénération interne des régimes, selon une séquence empruntée au vivant ; et l’altération de la puissance publique sous l’effet d’un détournement de ses missions d’intérêt général. Machiavel et Rousseau ont fixé les deux pôles autour desquels se produit la corruption de l’Etat : corruption des moeurs corrélative d’une confiscation de l’Etat à des fins de domination personnelle, gentilice ou oligarchique, pour le premier ; corruption de la volonté générale par des intérêts particuliers, pour le second. Dans les deux cas, la corruption procède de l’appropriation de l’Etat par des intérêts économiques et de la puissance publique par des pouvoirs privés.
Aussi anciennes que l’Etat lui-même, les pratiques corrompues et corruptrices des pays démocratiques y compris au coeur de l’Europe se sont cependant renforcées sous l’effet d’une économie de l’offre globalisée. Les captations privatives de la puissance publique se sont consolidées dans un certain nombre d’autres pays livrés au libre jeu des narcotrafic, de l’exploitation des ressources pétrolières ou minières, halieutiques ou mobilières, agricoles ou forestières, etc, que ce soit sur les continents américain, asiatique ou africain. Et il suffit de prêter attention aux « affaires » en France comme en Italie ou à la puissance du lobbying aux USA pour constater que la corruption accompagne la libéralisation.
Traditionnellement représenté comme corrompu par l’argent, l’« État corrompu » est devenu une forme hybride où le mafieux gouverne le politique et où le politique se reproduit, se maintient et se renforce en régulant l’économique sur un mode mafieux. Il convient donc de prendre la mesure des dégâts que la corruption impose à l’État : dysfonctionnements administratifs privant la majorité de la population d’un accès aux services ; nouvelle imbrication entre patrimonialisation et « tribalisation » des États ; formes inédites de violence envers la population nationale, les migrants et les réfugiés ; incapacité à assurer les missions régaliennes ; articulation croissante entre armées nationales, mercenariat et groupes armés para-étatiques. Mais il convient aussi de prendre la mesure d’une dégénérescence de l’Etat sous l’effet d’une corruption généralisée par la toute-puissance de réseaux mafieux qui se sont développés sous couvert de la matrice idéologique néolibérale.
L’État corrompu en vient ainsi à désigner au moins deux choses : une dégénérescence de l’État « occidental » où l’intérêt privé et la « déraison bureaucratique » parasitent la mission première du service public ; l’émergence, dans des contextes post-coloniaux, de nouvelles formes d’État ou d’« institutionnalité », dont les pathologies résonnent avec la corruption de l’État « chez nous ». La globalisation néolibérale revêt un rôle central dans les deux dynamiques, elle entraîne l’imposition planétaire d’un modèle de gouvernement qui, en déliant l’État du cadre démocratique, en fait le monopole des polices et des lobbies économiques, et en réalité des mafias.
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