Tumultes, no 47
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Il y a exactement un demi-millénaire paraissait à Louvain la première édition de l’Utopie : Libellus vere aureus, nec minus salutaris quam festivus de optimo rei publicae statu, deque nova insula Utopia. Peu d’ouvrages auront autant marqué l’histoire. On pourrait égrener l’interminable liste d’épigones de Thomas More qui, par des voies multiples, ont couché sur papier le récit d’un ailleurs. Mais il suffit, pour illustrer l’influence incommensurable de cet ouvrage, de relever que son titre — un néologisme inventé par More — est passé dans le lexique ordinaire de la plupart des langues humaines. L’Utopia du voyageur Raphaël Hythlodée est devenue l’utopie de tout un chacun. Elle s’est ancrée dans le langage, par définition partagé. Le nom propre est désormais nom commun. Comment le privilège d’un aventurier des mers est-il devenu un bien commun de l’humanité ? Comment l’utopie est-elle passée des mains de quelques privilégiés à celles de tous au point de devenir le ressort politique du démos ? L’égalité est la condition fondamentale de Utopia. De Thomas More, il nous faut retenir cette leçon si souvent négligée : sans égalité, pas d’utopie ! Ni de démocratie. Pourrait-on alors concevoir l’idée démocratique autrement que portée par l’esprit utopique ? Et pourrait-on imaginer démocratie radicale si ce n’est dans l’horizon utopique ouvert par cet esprit d’égalité ?
Cette livraison de Tumultes explore les voies de cette démocratisation de l’utopie démocratique. Loin de postuler l’harmonie entre utopie et démocratie, elle s’engage plutôt dans une recherche sinueuse de leurs possibles rapprochements en restant lucide sur leurs éventuelles incompatibilités. En associant la démocratie radicale à l’utopie, il ne s’agit pas de prouver que l’une contiendrait déjà l’autre dans son concept pour « découvrir » entre elles une heureuse continuité. Il s’agit plutôt d’explorer les intersections et les tensions qui traversent deux séries d’expérimentations, de pratiques et d’idées politiques et sociales. Toutes deux se démarquent clairement des logiques de paisible consensus, de bonne gouvernance et de juridisme auto-légitimé qui prétendent épurer le champ social de ses conflits et de ses poches d’altérité. Contre les diverses formes de domination, d’oppression et d’exploitation, utopie et démocratie radicale veillent de concert à laisser apparaître et s’exprimer les populations déterritorialisées, minoritaires, marginalisées et alternatives — ces bandes parcourant d’autres contrées du possible. Toutes deux puisent ainsi leurs lieux et expériences propres aux marges du pouvoir, dans des communautés qui ne s’intègrent pas à la société normalisée ni ne se soumettent aux codifications hégémoniques, dans des univers de sens reconfigurant le pensable, le dicible et le faisable. Pour autant, leurs procédés, leurs espoirs et leurs paysages ne doivent pas dissimuler leurs différences.
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